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vendredi 30 avril 2010

A propos de nos différentes vistes d'églises : Voici un bilan poétique et légèrement ironique

« - En fait, Monsieur le docteur, je dois avouer, que la religion catholique ne me réjouit même pas, et vous en tant qu’homme raisonnable vous devriez me donner raison. Je n'y vois pas le plaisir, c’est une religion comme si le bon Dieu, que Dieu nous en préserve, venait de mourir, et ça sent l’encens, comme aux funérailles, et au même temps on entend ronronner une musique funèbre tellement triste, qu’on attrape la mélancolie. Je vous dis, ça ce n’est pas une religion pour un homme de Hambourg.

- Mais, Monsieur Hyacinthe, que pensez-vous de la religion
protestante ?


- Celle-là, Monsieur le Docteur, elle est trop raisonnable pour moi. Et s’il n’y avait pas une orgue dans l’église protestante, on ne dirait même pas qu’il s’agit d’une religion. Entre nous, cette religion ne fait pas de mal, et elle est pure comme un verre d’eau, mais elle n’est pas utile non plus. Je l’ai essayée, et cet essai m’a coûté quatre marks et quatorze schillings.

- Comment ça, mon cher monsieur Hyacinthe ?

- Voyez-vous, monsieur le Docteur, j’ai réfléchi : c’est évidemment une religion très éclairée, et il lui manque l’extase et les miracles, néanmoins, elle devrait savoir accomplir un tout minuscule miracle, si elle voulait passer pour une religion honnête. Mais, qui dans cet endroit pourrait faire des miracles, pensai-je, quand je visitais une église protestante de Hambourg, qui faisait partie de cette sorte d’églises complètement dépouillées, où il n’y avait rien d’autre que des bancs marrons, des murs blancs sur lesquels on a accroché un tableau noir avec une demi-douzaine de chiffres blancs. Tu fais peut-être tort à cette religion, pensai-je à nouveau, peut-être ce sont ces chiffres-là qui peuvent faire un miracle aussi bien qu’une image de la mère de Dieu ou comme un os de son époux, le saint Joseph, et pour avoir le cœur net, je ne tardai pas d’aller à Altona, pour parier précisément ces chiffres-là dans la loterie d’Altona. Je misai huit schilling sur l’ambe (1), six sur le terne, quatre sur le quaterne et deux sur le quinterne… mais, je vous rassure sur mon honneur, pas un seul de ces numéros protestants est sorti. Maintenant, je savais ce qu’il fallait penser, maintenant, me disais-je, fichez-moi la paix avec une religion qui ne sait rien faire, où même en misant sur un ambe on ne gagne rien… Peut-on admettre que je sois fou à ce point de miser sur cette religion, en plus des quatre marks et quatorze schillings qui sont perdus maintenant, la totalité de mon bonheur ? »

D’après Heinrich HEINE, Reisebilder (Tableaux de voyages), 1826-1827, chapitre IX

(1) ambe, terne, quaterne, quinterne : dans une loterie, le fait de miser sur 2, 3, 4, 5… chiffres